Les écoles Yavuz Selim et l’Etat du Sénégal, le fond du problème

 (*) Ahmed Lamine   ATHIE

Depuis le putsch manqué contre le président Erdogan, ce dernier est à la traque de Fethullah GÜLEN et de son mouvement appelé « Hizmet ».

Ces tractations ont affecté l’administration des écoles Yavuz Selim créées deux décennies avant par les gülenistes.

Ces écoles d’excellence qui, par leurs résultats, ont fini par fasciner d’aucuns. Son offre attire la bourgeoisie sénégalaise et les « fils de » au point que nos autorités en fassent leur préférence au détriment de l’école publique. L’on dit ailleurs que l’actuel Ministre de l’Education, en l’occurrence Serigne Mbaye Thiam, avait inscrit ses enfants dans cette prestigieuse école.

Mais pour comprendre ce bras de fer engagé entre l’Etat du Sénégal et ces écoles, et qui enregistre l’adhésion de personnalités importantes de notre société, qui par bonne intention, qui par intérêt et qui par militantisme à l’idéologie Gülen, il faut rétablir un certain nombre d’éléments permettant de reconstituer le problème en amont.

Un coup d’Etat manqué

Au soir du 15 au 16 juillet 2016, le peuple turc après une journée de labeur se trouve confronter à une situation inédite ; un complot transnational (le mot n’est pas lourd). Un coup d’Etat qui est en train de s’opérer : des avions F16 qui ont bombardé le Parlement du peuple où certains députés étaient en plénière. Le siège où se trouvait le Président Recep Teyib fut la cible d’un missile. Ces avions de guerre partaient depuis la base militaire Incirlik, et pour rappel cette base située au sud de la Turquie abrite les forces de l’OTAN. Ce qui donne un caractère « international » à cette tentative de coup d’Etat aussi sanglante avec un lot de 265 morts et 1500 blessés. Un putsch mis en échec par l’éveil et le soulèvement spontané du peuple turc conjugué à l’attitude réfléchie et responsable des autorités d’Ankara. Et là se pose la lancinante question de savoir qui est le cerveau de ce putsch manqué ! Mais disons d’emblée et sans ambages que la thèse d’une manipulation émanant des autorités turques pour appuyer leur mainmise sur les affaires internes est absurde et constitue un non-sens. Seules les victimes de la désinformation peuvent tenir de tels propos.

Alors qu’est-ce qu’ont révélé les enquêtes au sujet des criminels putschistes ?! Toutes les voies mènent vers une seule direction : Mouvement Hizmeth de Fethullah Gülen

 

Qui est Gülen ?!

L’homme qui réside en Pennsylvanie depuis 1999 a deux casquettes: l’une est celle d’un homme religieux qui a les larmes faciles quand il s’adresse à ses disciples, prêcheur d’un « islam soft »  tolérant et très libéral dans ses fatwas au point de préconiser la dissimulation « Touqyah » et la prééminence du vivre ensemble au détriment des pratiques cultuelles telles que la Salât et autres. Du reste un « europhile » qui croit plus au prolongement géographique occidental de la Turquie qu’à son prolongement culturel oriental.

L’autre facette est celle d’un redoutable cerveau de ce qu’il convient d’appeler « l’Etat parallèle » en Turquie. A la tête du nébuleux mouvement Hizmet qu’il créa en 1970 et étala ses investissements diversifiés et très réfléchis. Commençant dans le domaine de l’éducation jusqu’à détenir plus de 1500 écoles et 17 universités à travers le monde. Plus de 20 chaînes de télévisions et des banques de renommée mondiale. Avec un dessin pointu, son mouvement réussit la prouesse d’infiltrer les différents appareils d’Etat : la police, l’armée, la justice, la presse et l’éducation. Il créa ainsi un Etat dans l’Etat (Al kiyaan al muwaazi). A la base, des pratiques peu musulmanes pour ne pas dire catholiques lui ont facilité l’opération d’infiltration en Turquie:

– des achats de conscience,

– des fuites des épreuves au profit de leurs élèves dans les concours,

– du favoritisme

bref, « la fin justifie les moyens » .

Ayant longtemps cheminé avec le parti au pouvoir, et considéré comme allié sûr malgré les rapports d’alertes des renseignements généraux turcs, le premier choc entre les deux alliés fut en 2012 avec l’arrestation de l’homme de confiance d’Erdogan en l’occurrence le chef des renseignements généraux par le procureur supposé proche de Gülen. Il s’en est suivi une cascade d’enquêtes dirigées contre des pontes du parti AKP et même des membres du gouvernement turc au nom de la lutte contre la mal gouvernance. Des attaques médiatiques ciblant le premier ministre Recep Teyip Erdogan, le Ministre des affaires étrangères Davutoglu, du patron des renseignements généraux Hakan Fidan. La réplique du gouvernement ne S’EST pas fait attendre, le mouvement güleniste a été indexé d’être derrière ces manigances et on jeta le bébé avec l’eau du bain. L’homme mystérieux et mystique EST dévoilé et le bras de fer est désormais engagé. Des deux côtés, on ne lésine pas sur les moyens, et le coup fatal fut la tentative de coup d’Etat manqué au soir du 16 juillet 2016, et la suite on la connaît.

Et l’Etat du Sénégal dans tout ça !

Suivant tous ces événements de près l’Etat du Sénégal n’a pas su anticiper sur les événements et, pour reprendre le Ministre Bamba Ndiaye, « l’Etat du Sénégal a laissé la situation pourrir au point où, l’Etat turc a dépêché une délégation de haut niveau à Dakar, pour négocier la fermeture et le transfert des écoles Yavuz Selim de BAŞKENT EĞITIM-SA à la fondation turque « Maarif ». C’était sans compter avec les enjeux que représentait l’administration de ce réseau de groupes scolaires.

De prétendus investisseurs français se mêlent dans l’affaire, pour mieux brouiller les pistes, face à une diplomatie hésitante et tatillonnante. Aujourd’hui, nul ne sait plus, à qui appartient vraiment ce groupe scolaire d’excellence qui enseignait, entre autres, la langue turque à nos enfants. Le malheur est que les Sénégalais semblent croire que sans les Turcs de Gülen, point d’enseignement de qualité au Sénégal ! Or, l’éducation de nos enfants est un domaine stratégique et sensible, qui ne devrait être laissé entre les mains d’étrangers, quelle que soit leur origine. »

L’on a crié et répété sciemment que l’Etat veut la fermeture de ces écoles alors qu’il n’en est rien. L’Etat du Sénégal exige le changement de direction, que des putschistes étrangers ne doivent pas assurer l’éducation de nos enfants. Quoi de plus normal ?!

Pour rappel, l’Etat turc avait demandé à son homologue sénégalais le gel des activités de l’association BAŞKENT EĞITIM-SA depuis 2015. Mais le Sénégal n’était pas d’accord, il a fallu qu’il y ait un coup d’Etat un an après pour que les autorités sénégalaises prennent conscience et comprennent enfin que:

  • La société BAŞKENT EĞITIM-SA est l’une des sociétés écrans constituant une source de financement au profit du mouvement Guleniste Hizmet,
  • ils ont un système efficace d’infiltration des États qui a fait ses preuves aussi bien en Turquie qu’ailleurs, et c’est le cas au Maroc.
  • Fethullah Gülen est le fer de lance des impérialistes contre le régime d’Erdogan, qui use de tous les moyens, même terroristes, pour déstabiliser un régime démocratiquement élu.

Par conséquent, l’Etat sénégalais, comme le Maroc le Mali et la Guinée, a souhaité que les établissements soient gérés par une association du pouvoir turc, puisque ces écoles sont, en principe, un patrimoine turc étant donné que l’association BAŞKENT EĞITIM-SA s’est établi au Sénégal par le concours de l’Etat turc. C’est le lieu de dire que ceux qui agitent l’argument d’intimidation d’un investisseur étranger privé n’ont certainement pas intégré l’enjeu politico-turc du dossier. La décision prise par les autorités sénégalaises de mettre fin aux activités de BAŞKENT EĞITIM-SA est une sage décision et ce, malgré les vociférations tout azimut de certains opportunistes. 

En effet, le Ministre Serigne Mbaye Thiam déclarait que «la décision qui a été prise est conforme à l’intérêt du Sénégal. Le Sénégal ne peut pas accepter que Baskent Egitim continue d’avoir les activités au Sénégal », révélant que chaque jour le Sénégal a des informations en vertu desquelles  Baskent Egitim ne peut pas continuer ses activités au Sénégal.

Par ailleurs, la nouvelle association publique MAARIF, préconisé par l’Etat turc est en mesure d’assurer la gestion des 15 écoles Yavuz Selim et leur continuité. 

En résumé, les écoles Yevuz Selim sont parrainées par Gülen, l’homme aux douze bras, l’accusé numéro un du putsch manqué le soir du 16 juillet. La raison d’Etat exige la neutralisation de ses sources de financement et de confier l’éducation de ces 3500 élèves sénégalais à des mains sûres. Il ne s’agit donc pas de se plier aux directives de Erdogan comme d’aucuns le soutiennent. Mais le sens républicain et la raison d’Etat voudraient qu’on se débarrasse des mouvements nébuleux et de ne pas prêter LE flanc aux magouilleurs sachant que nos États sont encore vulnérables. La vigilance donc doit être de mise !

(*) Chercheur sur les questions de la Turquie et du Moyen Orient

Kuwait University

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